Les joyeuses aventures de Zilk | Chapitre IV : L’oracle des bois Sonfrèches


– CHAPITRE IV –

L’oracle des Bois Sonfrèches

Qui aurait-pu penser que, par cette belle journée ensoleillée, dans une taverne si tranquille, des choses pour le moins terribles allaient se produire ? Personne, car ce ne fut pas le cas.

En cette douce après-midi, dans la paisible auberge du Tonneau Percé qui avait recruté une nouvelle serveuse tout aussi fringante que la précédente, deux êtres maléfiques et leur sublime raton-laveur se reposaient en toute quiétude, sans songer qu’à quelques dizaines de kilomètres de là, une guerre de religion sanglante venait de se déclencher et allait répandre le chaos sur l’intégralité du Continent pour les siècles à venir.

  • Zilk, interpella discrètement Morgane, regarde le vieux croûton au fond de l’auberge. Ce bougre ne nous a pas lâché des yeux depuis qu’on est arrivés.
  • Hmm ? marmonna Zilk, occupé à apprendre à Bibine comment tenir convenablement sa petite cuillère. Vu le triste état de ses vêtements, il n’a pas l’air de présenter le moindre intérêt.
  • Mais j’aime pas qu’on m’observe comme ça ! s’emporta la belle.
  • Eh bien, s’il te dérange, tue-le et cesse donc de faire de même avec moi. Non mais qu’est ce que c’est que ces manières ?

Morgane détourna le regard du vieillard afin d’observer son compagnon qui la rabrouait. Quand il en eut fini, elle leva les yeux au ciel avec agacement, sans savoir comment débloquer la situation.

  • Vieil homme ! Tonna soudain le mage noir de toute la terrible puissance de sa voix, faisant sursauter tous les clients de l’auberge y compris sa camarade. Pourquoi regardes-tu avec autant d’insistance la poitrine opulente de ma comparse ? Cela va à l’encontre de toutes les règles de bienséance !

Il y eut un flottement dans la salle. Zilk n’ayant pas pris la peine de se retourner, il semblait à tous qu’il s’adressait au mur en face de lui. Face à ce silence inattendu, le sorcier jeta un coup d’oeil derrière lui et se rendit compte qu’il n’y avait aucun vieillard attablé au fond de l’auberge, seulement un jeune couple avec leur bol de soupe et un marmot en sanglots agrippé au pied de la table comme si sa vie en dépendait. Agacé par ces pleurs incessants, le nécromancien jeta en toute discrétion un sort de disparition sur le support du jeune enfant, ce qui le fit tomber à terre. La table, déséquilibrée, déversa alors l’intégralité de son contenu sur le malheureux qui se retrouva assommé par sa hantise de toujours, une assiette de poireaux.

  • Morgane ? fit Zilk d’un air interrogateur. Pourquoi n’y a-t-il aucun vieux croûton tel que tu me l’as décrit ?
  • Parce qu’il est à côté de toi… soupira la jeune femme. Il a été tellement effrayé par ton discours qu’il a aussitôt rappliqué… mais je crois qu’il n’ose pas te parler, en fait.

Zilk se tourna alors vers l’homme. Il le toisa du regard, l’inspectant de bas en haut d’un air hautain. Il était pauvrement vêtu. Une simple cape de toile enveloppait un maigre corps dont les os se devinaient exagérément. Des culottes rapiécées par le temps ainsi que des bottes trouées complétaient sa tenue. Son faible regard trahissait les nombreuses épreuves qu’il avait récemment traversées et les multiples rides déformant son visage attestaient de son âge avancé, comme l’avait subtilement précisé Morgane.

  • Alors vieillard, gronda le sorcier. Comment oses-tu porter le regard sur les formes de MA partenaire ?
  • Je… je… balbutia-t-il. Je m’excuse de vous déranger messire, je n’ai pas eu l’intention de vous offenser, ni vous, ni votre damoiselle. Je voulais simplement vous parler mais je ne savais pas comment vous aborder car j’ai tout de suite vu en vous une grande puissance. Mon peuple et moi avons grand-besoin de votre aide !
  • Eh bien tu vois, ce brave homme ne te reluquait pas ! indiqua joyeusement Zilk.
  • Je n’ai jamais dit ça, c’est toi qui fait une fixette sur mes courbes…Et je ne suis pas sa damoiselle… ajouta-t-elle en grommelant à l’adresse du vieil homme, tout en sachant pertinemment que personne ne l’écoutait.
  • Le problème est donc réglé, conclut le mage noir en se levant. Je te propose de nous mettre en route maintenant, le monde nous attend !
  • Mais… Et mon peuple ? Vous allez m’aider n’est-ce pas ? implora l’octogénaire de sa voix vacillante.
  • Morgane, allons-y ! Hazefu ne s’est pas détruite en une semaine ! Elle n’est pas encore détruite d’ailleurs… Il faudra y remédier.

Imitant avec plaisir l’attitude de son partenaire de crime, la sulfureuse rousse ramassa ses affaires et marcha de son pas le plus digne vers la sortie, ignorant totalement les suppliques du vétéran.

Ils avaient ainsi marché plusieurs heures durant, suivant une direction qu’avait indiqué Zilk en sortant de l’auberge. Son choix avait été dicté selon l’alignement des planètes avait-il affirmé d’un air distrait. Morgane avait cessé de chercher à comprendre, épuisée par ses récentes aventures, se contentant de le suivre en somnolant. Leur avancée était ponctuée par les râles de Zilk qui estimait la marche de sa compagne trop lente à son goût. Leur balade n’avait profité qu’à Bibine, qui sautillait joyeusement d’arbustes en arbustes en couinant avec légèreté et grâce.

Enfin, alors que s’étendait doucement le voile de la nuit sur l’horizon, ils découvrirent avec émerveillement des traces de civilisation sous la forme d’une cabane coincée dans le tronc d’un vieux chêne. Zilk s’arrêta en vue de la hutte, fit signe à ses compagnons de l’imiter et se retourna vers Morgane avec l’étincelle dans les yeux que la belle rousse commençait à assimiler à une idée fusant dans son esprit.

  • Et tu as parfaitement raison, confirma-t-il. Une idée fuse bel et bien dans mon esprit.
  • Ha, je me disais aussi… mais attends ! s’exclama-t-elle avec étonnement. Tu peux lire dans mes pensées ?
  • Oh non, c’est inutile. Je suis désolé de devoir te l’annoncer ainsi, entama Zilk avec ironie, mais tu es seulement bien prévisible ma jolie.
  • Ma jolie ? Ma jolie ! Ne m’appelle plus jamais comme ça ! s’indigna la rousse en rougissant de fureur. Recommence ne serait-ce qu’une seule fois et…
  • Toc toc, l’interrompit subtilement le battant de la porte vers laquelle Zilk s’était dirigé, ignorant les propos de sa partenaire.
  • Et je te conseille d’arrêter de m’ignorer, espèce de mage de pacotille !

A ce moment précis, un vieillard ouvrit la porte du cabanon et se retrouva face à un Zilk souriant, une guerrière farouche et un mammifère callipyge, dont les formes rappelaient la beauté et la pureté d’une belle nuit d’été.

  • C’est à moi que vous parlez, jeune impudente ?! s’offusqua-t-il en frétillant des bajoues. Je ne vous permet p…
  • Bonsoir cher confrère, le coupa le mage noir d’un ton posé. Je suis Zilk, voici Bibine et la turbulente jeune femme que vous voyez n’est autre que Morgane, ma partenaire. Veuillez l’excuser pour ces quelques mots peu agréables, j’imagine qu’ils m’étaient destinés…
  • Humph. Et pourquoi avez-vous voyagé jusqu’à ma demeure, cher… confrère ? questionna l’ancien en jetant sur son interlocuteur un regard suffisant.

Zilk se racla la gorge avant d’entreprendre une longue et élégante tirade dont il avait le secret. Il ouvrit la bouche, prêt à déverser sa savante dialectique :

  • On veut juste savoir quelles personnes comptent déclencher l’apocalypse et où on peut les trouver, lâcha Morgane avec dédain.

Son comparse se retourna, visiblement choqué par sa prise d’initiative soudaine et irréfléchie. Elle lui répondit par un sourire moqueur et continua.

  • Vous êtes sorcier c’est ça ? fit-elle en montrant du doigt ce qui semblait être un télescope, feignant une expression admirative.
  • Je suis un devin moi madame ! clama-t-il avec aigreur. L’oracle des Bois Sonfrèches !
  • Ca tombe bien, je ne serai pas contre un petit remontant, précisa Zilk à part.
  • Eh bien c’est exactement ce que nous recherchons ! poursuivit la fière voleuse. Un homme aussi compétent et renommé que vous devrait pouvoir nous aider, non ?
  • Moui, c’est pas faux, présenté de cette façon, songea le bougre. Suivez-moi à l’intérieur.

Avant de pénétrer dans la bicoque, Zilk arrêta Morgane d’un regard entendu.

  • Dis-moi, comment es-tu parvenue à le convaincre aussi facilement ? Demanda-t-il, sincèrement intéressé. Je connais sa réputation et je m’étais résigné à employer l’hypnose pour en tirer quelque chose.
  • Oh tu sais, tous les mages sont prévisibles, fit-elle avec une certaine rancune dans la voix avant de rentrer dans la masure.

La demeure du prophète ne manquait pas de charme, dotée d’un style alliant légèreté rustique et naturalisme épuré. Tout était en bois du sol au plafond et seule une fenêtre crasseuse servait à illuminer l’endroit, et plus particulièrement une impressionnante collection de bouteilles que la pâle lumière automnale ornait de reflets multicolores.

Le vieillard leur signala avec dédain qu’ils pouvaient s’asseoir pendant qu’il se préparait à recevoir les visions dont les déïtés lui faisaient grâce. Il attrapa une demi-douzaine de breuvages et il se retira derrière un grand rideau pourpre afin de préserver le mystère de son savoir. Intrigués, les invités se rapprochèrent et entendirent de nombreux “glou glou glou” dont la signification restait pour le moins ésotérique.

  • Attends, regarde les bouteilles ! chuchota Morgane, choquée. Whisky forestier, rhum aux groseilles, cuvée des écureuils…
  • Silence, lui intima Zilk qui patientait calmement assis en tailleur. Il faut respecter les dieux de chacun.
  • Avec ça, je vais avoir des visions de folie ! S’égaya soudain leur hôte dans un accès d’euphorie prophétique.

Quelques minutes plus tard, ce dernier tira le rideau et ils purent constater que les flacons qu’il avait pris avec lui gisaient à terre, vides. L’air hagard, l’oracle des Bois Sonfrèches tituba jusqu’au tabouret le plus proche, la langue pendante et les yeux exorbités.

  • Regarde, murmura Zilk. Il entre en transe.
  • Ola, vous, vooooooyageurs ! S’écria le vieux mage d’une voix éraillée. Vous en êtes venu quérir à grand galop mon savoir et mon savoir je vous donnerai ! Ouaip ! Les bonshommes que vous r’cherchez sont pas des Jojo bien rigolos. J’en sais pas bien ce que vous y chercheriez des noises mais faites gaffe à vos miches les jeunots ! ‘Fin bon j’m’en fous moi hein, tant que j’ai mes flaconnets pour… euh… Exercer mon art, c’est tout c’qui compte. Alors voilà, les p’tits mecs que vous en avez après, le premier y s’appelle….

Et c’est ainsi que nos amis purent entendre ce vieil ivrogne déblatérer, de longues minutes durant, ses prophéties dont le sens n’avait d’égal que la lucidité de son orateur. Rapidement Zilk se rendit compte que ces élucubrations ineptes ne lui apprenaient rien qu’il ne sache déjà. D’ailleurs, Morgane s’était assoupie dès le début à côté de lui. Même une bonne cueillette aux champignons serait plus enrichissante. C’est donc d’un geste puissant et grave qu’il éleva un doigt majestueux en direction du vieil homme, prêt à abréger cette triste vie. Il aurait certes pu l’interrompre, l’humilier et imposer sa supériorité indéniable mais il était d’humeur magnanime et ne voulait pas froisser plus que nécessaire ce qui restait de dignité en cet homme.

Je me permet d’ailleurs d’ouvrir une parenthèse pour que vous, lecteur, remarquiez à quel point Zilk est devenu humble et généreux par rapport à la genèse de ce récit. N’aurait-il pas poussé plus bas que terre un tel spécimen seulement quelques pages plus tôt ? Et maintenant il souhaitait abréger les souffrances du malheureux ivrogne sans même perturber son récit. Quel grand homme était-il devenu sous l’influence aimable de sa camarade rousse…

  • Mais revenons-en à notre brave ami et à son doigt dans lequel montait un sortilège de dévastation primaire de niveau sept, école des ténèbres, treizième cercle. Au moment où son acte de bienfaisance allait prendre forme, Bibine surgit subitement des ombres d’un vieux fauteuil branlant et atterrit dans la main de son maître, son doux regard de mammifère exprimant toute la pertinence intellectuelle dont elle était capable.

Le nécromant la regarda pendant quelques secondes, hésitant, puis il se détourna, tapota la tête de Morgane pour la réveiller et sortit de la bicoque à grands pas. Sa jolie comparse le suivit, l’esprit encore un peu brumeux, et lui demanda avec la voix pâteuse :

  • Alors, on a appris des choses ?
  • Non.
  • C’est bien ce qui…qu’il me seeeeeemblait, nota-t-elle en baillant. Et pourquoi on a pas tué le vieux ? Il sait qui on est…
  • Bibine m’a demandé d’épargner cet ami de la forêt, expliqua-t-il sobrement. Allons chère amie, nous nous passerons des quelques détails utiles que nous étions venus chercher. Dirigeons-nous sans plus attendre vers le nord !

À quelques milliers de kilomètres de là, un nain broussailleux se réveilla en sueur au milieu de la nuit en criant “JAMAIS AU NORD !” avant de se rendormir lourdement. Dans la cabane de l’oracle des Bois Sonfrèches, un peu plus tard, le vieil hystérique termina sa prophétie :

  • … Et il collectionne les pigeons. Oh et j’ai failli oublier, il sait que vous en avez après lui et il a préparé un piège pour vous accueillir !

Il reprit alors ses esprits, s’ébroua vigoureusement et se frotta les yeux avant de s’apercevoir que ses convives n’étaient plus là. Il attrapa une nouvelle bouteille dont l’étiquette indiquait “Alcool pour mage, le Vin-vocation” et marmonna dans sa barbe :

  • Bon, tant pis pour eux. Tiens, je bois à leur santé !

Tom & Alban

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