– CHAPITRE I –
Un agréable bivouac
Voilà deux jours déjà que Zilk était en route pour la grande ville d’Hazefu, sanctuaire de lumière, de beauté et de connaissances, pour y amorcer l’apocalypse. Dans ce lieu saint, où ne vivaient que les gens pieux, reposait une relique sacrée qu’il convoitait et dont il avait besoin pour son plan de domination totale. Le Majeur de l’Indomptance possédait, selon les anciens grimoires, des propriétés divines et occultes qui, toujours selon ces écrits, permettaient d’obtenir des pouvoirs dépassant l’entendement pour qui saurait s’en servir.
Comme il approchait de la fameuse cité mais que le crépuscule faisait tomber sur la forêt son plus profond voile d’ombre, il décida de s’arrêter près d’un charmant petit bosquet et d’y installer son campement pour la nuit. Il n’aimait pas faire de randonnée nocturne, il avait toujours entendu que cela était dangereux. En effet ses quelques escapades sous la lune s’étaient toujours terminées en bain de sang…
Il s’installa près d’un chêne centenaire et y fit apparaître deux tentes, une pour Bibine et l’autre pour sa maléfique présence, un feu ronronnant dont les flammes étincelaient dans la pénombre ainsi qu’un panier de légumes frais pour la soupe. Il saisit son couteau-pelle-pendule-faux-sablier-peigne et, en quelques minutes, les carottes et les navets se retrouvèrent coupés en petits cubes et rangés par ordre croissant de taille et de couleur. Il appréciait malgré tout son petit confort culinaire manuel qu’aucune magie ne pouvait égaler. Un claquement de doigts plus tard, un immense chaudron qu’il se plaisait à appeler Titi surgissait du néant et engloutissait dans ses eaux troubles les aliments soigneusement préparés.
Alors qu’il remuait délicatement sa soupe d’un geste altier, des voix lointaines résonnèrent, tranchant le silence de la nuit par leurs tons rauques et primitifs. Heureux à l’idée de pouvoir se dégourdir un peu, il défroissa sa cape de voyage pour être présentable et s’apprêta à accueillir les nouveaux arrivants. Le groupe sortit de l’ombre et il put distinguer trois silhouettes dont la démarche n’avait d’égal que leur subtilité.
- Toi donner ton corps ! Beugla l’un des bandits. Euh… Non… Toi donner ton or !
- Mais bien évidemment très cher. Allez chercher du bois pour mon feu et mon or sera tout à vous, proposa Zilk en haussant la voix pour cacher le crépitement des braises.
- Il en faut combien ? S’enquit le malotru.
- Non mais sérieux…. soupira la femme du groupe, une grande rousse qui semblait débrouillarde. Tu vois pas qu’il a son feu déjà allumé et qu’il se fout de nous ?
- Beuh…
- Elle a raison, intervint le dernier membre de la compagnie après une légère hésitation. Toi l’étranger, n’essaye pas d’être plus malin que nous et vide tes poches !
Les brigands portèrent la main à leur fourreau d’un air vindicatif tandis que Zilk, lui, continuait à touiller sa soupe sans leur accorder le moindre regard.
- Moi ? S’indigna-t-il en relevant enfin la tête vers ses interlocuteurs. Oh non je n’oserais pas me moquer de bonnes gens telles que vous. Rien ne me serait plus déplaisant. Mais certes je me suis fourvoyé, mon feu est, et brûle déjà. En revanche si la fortune est ce que vous recherchez, nous pourrions peut-être commercer comme les honnêtes gentilshommes que nous sommes.
- Pourquoi pas, accepta le moins benêt des deux mâles, une lueur de sournoiserie dans l’oeil. Alors Morgane, va donc faire le guet et assure toi que personne ne vienne interrompre ces… négociations.
- Oui Morgane, allez donc surveiller vos biens, qu’aucune âme mal-intentionnée ne puisse s’en emparer. Ce serait, ma foi, bien dommage.
La jeune femme se tourna vers ses camarades, leur intimant d’un regard courroucé de ne pas faire n’importe quoi, puis s’éloigna du campement. Zilk profita ainsi, pour sa plus grande satisfaction, de sa deuxième contemplation de déhanché généreux de la semaine.
- Alors voilà ! Passons aux choses sérieuses, l’étranger !
Hmm, acquiesça la brute. - Fort bien, déclara le nécromant. Tout d’abord, mes braves, et ce dans un unique but d’équité, je désire savoir où se cachent vos biens. Vous voyez là tout ce que je possède et la localisation de chacun de mes trésors mais j’ignore où sont les vôtres. Si je vous crois sur parole quant à la nature de vos possessions, je désire cependant, vous le comprendrez bien, en connaître l’emplacement.
Le brigand hésita quelques instants. Puis après une mûre réflexion il se dit que de toute façon l’inconnu finirait arnaqué, tué et pillé. Alors autant satisfaire l’autre parti tout en lui mentant, par pure conscience professionnelle.
- Oui je comprends, approuva-t-il. Notre campement se trouve à côté de la rivière, à l’est, fit-il en jetant un bref regard dans la direction opposée.
- Votre honnêteté vous honore, l’ami ! Enchaîna Zilk en se frottant les mains. Alors que pensez vous de l’échange de votre cimeterre contre une cotisation compensatoire à la richesse expansive des deux partis proposant de participer à une transaction des parts du marché relatives à chacun d’entre nous. Bien entendu, ce contrat passé dans l’accord des conventions de la confiance et d’une promesse d’un dû intrinsèque à votre nombre d’ascendants possédant une richesse non subséquente mais sachant rester affairante à…
Les deux bandits écoutaient avec attention. Dès la deuxième phrase ils durent user de tous leurs talents de comédiens pour ne pas afficher leur totale incompréhension. Ce n’est qu’une fois ce monologue terminé qu’ils purent enfin répondre.
- Euh… D’accord. Ca me semble acceptable, conclut le voleur.
- Oui, ajouta le simplet avec sagacité.
- Eh, je crois qu’on y gagne ! Lui murmura son compère.
Zilk tendit la main et reçut gracieusement la lame de son adversaire. Puis, sans laisser aux deux gredins le temps de rassembler leurs esprits et leurs facultés de marchandage, il poursuivit sa savante dialectique et les dépouilla rapidement de toutes leurs possessions. Enfin, pour terminer l’entretien et ne pas les léser, il leur offrit une pièce de cuivre ainsi que son plus beau sourire. Heureux de leurs prolifique négoce, ils remercièrent mille fois leur bienfaiteur et s’apprêtèrent à retrouver leur complice ainsi que leurs montures.
- Euh… Mais on a plus rien ! Constata la brute.
- Mais t’en fais pas, j’ai gér… riposta son ami. Eeeeh ! Mais on a plus rien ! Vous nous avez volé !
- Comment ça ? Moi, vous voler ? Nous n’avons fait que négocier voyons.
- Menteur ! Tricheur ! Capitaliste ! À mooooort ! S’écria le bretteur offusqué.
À ces mots l’homme s’élança, accompagné de son compère, vers le vil escroc. L’image de ces deux assaillants désarmés, vêtus uniquement de caleçons et de chaussettes, se jetant cœur et âme dans la mêlée allait marquer Zilk jusqu’à la fin de ses jours.
- Eeh ! Protesta Zilk en s’emparant de son tout nouveau cimeterre. Je ne vous rendrai pas vos pantalons ni vos armes, je les ai gagnés honnêtement !
Les brigands ne portèrent pas la moindre attention à ces moqueries et continuèrent leur attaque en poussant de grands cris guerriers. Zilk nota que sa lame avait été bien entretenue par son précédent propriétaire avant de la laisser tomber au sol, puis fit un pas de côté pour éviter le coup de poing qui s’approchait de son visage. Deux mots interdits furent murmurés, ses mains furent illuminées et la tête de la brute s’embrasa en un éclair aveuglant. L’autre recula de stupeur et se retourna dans l’idée de fuir. C’est alors que Bibine surgit d’un buisson et saisit le couard à la cheville, lui faisant littéralement mordre la poussière.
Le malheureux se releva difficilement, la jambe transie par la morsure de l’animal et la joue éraflée par le caillou particulièrement coupant sur lequel il avait atterri. Zilk jeta un rapide coup d’oeil vers son chaudron, vérifia que sa soupe ne brûlait pas et s’approcha de l’estropié en sifflotant d’un air guilleret.
Il lui suffit d’une pichenette sur le nez du bandit pour le remettre à terre. Cette fois, l’os de son épaule craqua sous le choc mais cela ne l’empêcha pas de se redresser, désormais animé par une volonté bien plus forte que ses simples muscles.
- L’homme fort n’est pas celui qui ne tombe jamais, haleta-t-il en fixant les yeux du démon qui lui faisait face. L’homme fort est celui qui se relève à chaque fois !
Zilk apprécia un court instant ce courage naïf que possédait son adversaire et haussa les épaules.
- L’homme fort est plutôt celui qui sait désintégrer son ennemi et qui, accessoirement, reconnaît quand sa soupe est prête. Et là, elle l’est.
Il dressa fièrement son index pour ponctuer sa phrase et une intense lumière vert émeraude vint dissimuler pendant quelques instants le corps de l’homme meurtri. Lorsqu’elle se dissipa, il ne restait qu’un tas de cendres aux pieds du mage dans lequel Bibine se jeta joyeusement.
- Mmh… Vert c’est pas mal, mais je tenterais une autre couleur la prochaine fois. Ça manque un peu de panache…
Alarmée par ce vacarme, Morgane réapparut en courant, une dague dans chaque main, et n’eut pour seule vision de ses camarades de fortune qu’un corps décapité dont le cou fumait encore.
- Vous venez de marcher dans votre ami, l’informa Zilk en se servant généreusement un grand bol de potage.
Elle baissa les yeux d’un air horrifié et s’aperçut que de la cendre maculait ses bottines tout juste cirées. Il ne lui fallut que quelques instants pour reprendre contenance et se redresser vers le meurtrier, un sourire charmeur se dessinant sur ses lèvres.
- Oh, oui, il a toujours été importunant… Constata-t-elle en haussant les épaules. Dans ce cas, que pensez-vous de débuter un nouveau partenariat avec quelqu’un de compétent ? Je vous assure que je suis…
- Très bien ! Coupa Zilk. Vous m’assisterez donc, comme… nouvel animal de compagnie ? Ma foi pourquoi pas. Mais il faut que je vous informe d’une ou deux bricoles.
- Animal de comp… Hum, se rembrunit-elle. Et de quoi est-il question, cher associé ?
- Tout d’abord, voilà Bibine. Respectez-la plus que vous-même. Elle sera votre supérieure. Ne la contredisez sous aucun prétexte.
Le mammifère se dressa sur ses pattes arrières, regardant avec fierté sa nouvelle subalterne. Cette créature rousse saurait certainement l’assister convenablement.
- Ensuite, poursuivit-il après une savoureuse goulée de soupe, ne touchez jamais ma personne, sauf demande expresse de ma part. Si c’est le cas, demandez des précisions et assurez-vous de ne pas être sale. Pour finir… je crois que c’est tout. Oh si ! J’attends de vous une grande capacité d’adaptation. Je vous ai engagée pour vos talents, alors ne me décevez pas.
La charmante demoiselle réfléchit quelques secondes, évaluant ses possibilités de survie en cas de refus et le profit qu’elle pourrait tirer d’un tel contrat. Finalement satisfaite, elle hocha la tête en signe d’approbation et s’assit près du feu.
- Quand vous parlez de mes talents… ajouta-t-elle en se servant du délicieux liquide fumant. Sur quoi vous basez-vous ? Vous ne m’avez jamais vue à l’action.
- En effet mais ce n’est pas nécessaire, j’ai le don de dénicher les meilleurs éléments, expliqua-t-il en jetant un regard affectueux à Bibine. Et tu peux m’appeler Zilk.
Morgane l’écouta en grattant distraitement le pelage du raton-laveur, intriguée plus qu’effrayée par ce mystérieux personnage qu’elle fréquenterait désormais quotidiennement.
C’est ainsi que nos trois amis s’endormirent sous la voûte céleste, le cœur empli d’espoir quant à la suite des événements…
Tom & Alban