Archives journalières: 20 décembre 2015

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La revanche de la volaille | Les Histoires Artistichaotiques

Le texte qui suit est le premier opus d’un nouveau concept révolutionnaire ! Tom et Alban, écrivains émérites, ont décidé de partager leur talent et de produire une histoire à deux, écrivant une phrase chacun leur tour. Voici leur premier chef-d’oeuvre, la revanche de la volaille !

Il était une fois une poule, mais pas n’importe quelle poule. En effet, sa dentition proéminente la forçait à mal prononcer les “s”, autrement dit, à zozoter. Cela peut paraître anodin, mais cette spécificité morphologique lui valait d’être reconnu parmi la communauté des gallinacés. Les scientifiques de la basse-cour étaient particulièrement strictes quant à ceux qu’ils acceptaient en tant que tel, or il était admis depuis de longues années que les défauts de prononciation étaient signes d’intelligence supérieure. Ce qui était en général le cas. Mais revenons à nos moutons, enfin à nos poules, et laissez moi vous raconter comment John changea la face du monde.

C’était un vendredi matin. Le soleil était pluvieux, l’air était embrumé et les nuages étaient maussades. Ces crumbles mal dégarnis n’avaient aucune idée de ce qui allait se produire ce jour-là. Certes ils se doutaient que le temps allait probablement changer, mais rien, rien ne pouvait plus les désappointer que ce qui arrivait à l’horizon, la silhouette se découpant sur le lever du soleil. L’ombre qu’elle faisait planer sur la région de John était gigantesque, tel un vaisseau neptunien paré à l’attaque. C’est à ce moment-là que notre héros au sage bec arriva fièrement, héroïquement, et se positionna tel un mur protecteur entre les crumbles et la menace grandissante.

Les plumes brillant de courage face au danger, il sortit son calendrier et constata que sa terrible intuition se révélait être vraie. Ce qu’il avait toujours redouté depuis qu’il était jeune poussin était arrivé, son funeste destin venait à sa rencontre. Sa paraskevidékatriaphobie n’avait pas été illusoire, son pire ennemi, son nemesis apparaissait finalement devant lui en ce terrible jour du vendredi 13 Fructidor. Malgré cette frayeur qui l’envahissait peu à peu, John savait qu’il ne devait pas céder, il devait tenir pour tout ce qui lui était cher sur cette bonne terre. C’est pour cette raison qu’il se dressa fièrement devant cette silhouette mystérieuse et entama la discussion.

– Toi… Ze t’ai attendu depuis sce fameux zour… Tu n’as zamais quitté mes pensées, et enfin te voilà de retour, prêt à affronter ton desstin.

A cette menace la silhouette se rapprocha si bien que l’ on pouvait enfin discerner ses traits maléfiques. Ce n’était autre que Margaret !

Cette chouette, au bec fin et aiguisé comme la paroi d’une cacahuète particulièrement coriace, au buste fier sur lequel transparaissait un étrange médaillon, au pelage frémissant dans la brise telles des plumes de papillon, fixa John droit dans les yeux avant de répondre à son injonction.

– John, John, John… Le temps a passé mais tu n’as pas changé… J’avais pourtant espéré que tu grandisse mais on dirait que tu ne me laisses plus le choix désormais.

– Alors laissse les autres en dehors de sça et affrontons-nous. Je ssaurai venzer mes frères. Oeil pour oeil, bec pour bec.

– Aujourd’hui John sonne le glas de ta défaite. Nul ne m’a jamais terrassé au gobage de flambies ! Mouah ah ahahahah hah aha, s’esclaffa Margaret d’un air maléfique.

– La dernière fois, tu m’as scertes vaincu lorssque ma dent ss’est courbée sur le rebord de l’asssiette… Mais auzourd’hui, ze me ssuis préparé et depuis tout sce temps, z’attends avec impatscience l’heure de ma venzeansce ! Bats-toi pour ton honneur, Margaret !

La chouette effectua donc un bond en avant et, d’un geste de l’aile, fit apparaître face à eux deux assiettes, ornées de petites crevettes ne se trouvant qu’en haute mer les soirs d’automne et de feuilles d’érable. Deux sublimes flans mous nappés de caramel scintillant sous la voûte céleste se trouvaient à l’exact épicentre de chaque récipient de céramique, se balançant au rythme du destin. John avança vers ce défi d’un pas solennel et, regardant dans le blanc des yeux de son adversaire, se prépara au gobage.

Les croupions se dressèrent vers le ciel tandis que les têtes des deux combattants fondaient à une vitesse vertigineuse vers leur objectif. Les crumbles hurlaient des encouragements à l’intention de ces majestueux volatiles, ce qui renforçait non négligeablement la palpable tension flottant dans l’air ambiant.

Alors que le bec de John fendait les airs avec grâce et précision vers le délicieux caramel, ses pensées étaient tournées vers sa famille qui avait dû subir les répercussions de son précédent échec. Jamais il ne se l’était pardonné. Jamais il n’oublierait. Jamais il ne faillirait une seconde fois.

Pendant ce temps, non loin d’un ranch isolé, Guyome s’abreuvait avec plaisir de l’eau du puits de son oncle. La soirée était douce et fraîche, comme il les aimait. En écoutant bien, il réussissait même à entendre quelques oiseaux de passage. La vie était belle.

Margaret, sûre d’elle, plongeait vers le délicieux dessert quand son regard s’attarda sur le mouvement incroyable de son opposant. Elle n’en croyait pas ses yeux, était-il vraiment le même oiseau qu’elle avait déjà vaincu ? Plus rien n’était certain, cette façon de fondre ainsi sur le flan ne pouvait être réelle. C’était sûrement une ruse, un fin stratagème visant à la décontenancer. Mais… Non, c’était trop parfait. La chouette reconnaissait cette courbe que son corps décrivait, c’était celle longuement explicitée dans les plus vieux ouvrages gallinacéens. Il avait maîtrisé la Trajectoire parfaite.

C’est à ce moment que Margaret réalisa enfin qu’elle n’aurait pas ses chances face au détenteur de la Trajectoire. Stupéfaite, elle ne put rectifier son mouvement qui s’acheva au beau milieu des crevettes, maculant ainsi son plumage d’éclats de porcelaine.

John, victorieux, releva son bec encore suintant du caramel attestant de son triomphe. L’équilibre avait finalement été rétabli, sa dette avait été payée. La foule l’accueillit tel un véritable héros, clamant en chœur son nom qui résonna dans toute la région, jusqu’à l’éternité.

Tom & Alban

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